«Lorsqu’il pleut en amont de cette rivière, les eaux envahissent mon jardin. Cette rivière emporte avec elle des sachets, des sacs usés, des bidons qui viennent stagner dans ma culture en détruisant tout à leur passage», s’inquiète Madame Noëla.
Âgée de 57 ans, Noëla cultive, en effet, des amarantes sur une étendue d’environ 50 mètres sur 35 dans un quartier périphérique en Commune de Mulekera , ville de Beni. Son jardin est situé au bord de la Rivière Kilokwa qui serpente la ville.
Déplacée de guerre, Madame Noëla cultive ici des amarantes avec ses trois enfants pour trouver de quoi survivre après avoir fuit les attaques terroristes de l’Allied Democratic Forces, un groupe allié, selon les autorités congolaises et des chercheurs internationaux, à l’État Islamique. Depuis plus d’une année maintenant, Noëla et ses enfants trouvent ici de quoi survivre.
Pour améliorer sa production en période de sécheresse, Noëla et ses enfants arrosent chaque soir des platebandes des amarantes en utilisant l’eau de cette rivière voisine.
«Pendant la période sèche nous devons arroser. Je le fais seule le matin et le soir après cours, mes enfants viennent à ma rescousse. Le rendement est bon. Je peux gagner jusqu’à dix milles francs congolais (environ 3. 5 dollars américains) par jour lors de la récolte. Avec cet argent, j’achète de la nourriture, des médicaments et je réponds à d’autres besoins essentiels. Nous n’accédons plus à nos champs lointains suite à l’insécurité. Ce jardin est tout pour ma famille », témoigne-t-elle.
Si pendant la saison sèche son travail est pénible notamment avec des centaines des litres à arroser par jour, en période de pluie il est plutôt plein de désespoir.
En effet, la rivière près de son jardin déborde et les eaux de ruissellement mêlées aux déchets de tout genre envahissent les cultures. Les plus redoutables sont des déchets plastiques.
«Rien n’est sauvé »
«Lorsqu’il pleut mon jardin est inondé. La rivière quitte son lit et jette dans les rivages les déchets de tout genre. Mes amarantes sont détruites. Il y a des bouteilles usées d’eau en plastique, des emballages usés des sachets et autres qui engloutissent mon jardin. Une fois la rivière retournée dans son lit, c’est difficile de supporter le désastre. Rien n’est sauvé et pour une nouvelle culture je dois fouiller le sol à l’aide de râteau pour extrait des sachets et autres déchets plastiques. C’est difficile mais je n’ai pas où aller».
Par manque des poubelles publiques et des mesures restrictives relatives à la gestion des déchets, les populations de Beni déversent chaque jour des milliers de tonnes d’immondices dans les rivières. De plus, la ville ne contient pas de société d’assainissement. Même la Mairie locale ne peut rien suite aux moyens très limités mis à sa disposition. Pour une population d’environ 600 milles habitants, un seul véhicule chargé de la récolte des déchets est opérationnel. Conséquences les rues, les marchés publics, les ruisseaux et espaces sans constructions sont transformés nuitamment en dépotoirs.
Pourtant, faute de l’insécurité autour de la ville les déplacés entretiennent des petits jardins à travers le centre urbain. Ces jardins sont importants à l’alimentation des marchés urbains en légumes, la viande et le poisson étant coûteux.
«Ici je cultive du manioc pour ses feuilles, des courgettes et des épinards. Celà m’aide à économiser quelques sous sur mon petit salaire d’enseignante. Le problème est que la terre n’est plus fertile et il y a trop des sachets plastiques sous le sol. Regarde! Quelqu’un est venu déverser nuitamment sa poubelle ici», nous explique madame Mukosasenge en nous montrant un tas d’immondices à l’entrée de son jardin.
Institutrice dans une école qui fonctionne l’après-midi, Cette femme d’une soixantaine d’années profite de ses heures matinales pour caresser le sol dans un petit enclos érigé dans sa parcelle sur les hauteurs de la colline de Kalongo au sud de la ville.
«C’est ainsi que la population meurt de faim »
Pour sa part, un spécialiste en agrovétérinaire met en garde contre les conséquences de l’envahissement du sol par des déchets plastiques. Outre la pollution de l’air, de l’eau, le Docteur Katembo Mahamba, enseignant en sciences vétérinaires et agricoles à l’Institut Supérieur de Développement Rural de Beni alerte sur la capacité des déchets plastiques de diminuer la fertilité du sol.
«Lorsque les déchets plastiques sont enfouis dans le sol c’est possible que la quantité de la production diminue. Il diminution de la quantité du fer dans le sol et l’augmentation de la quantité des substances chimiques suite à présence de ces déchets. Par ailleurs, les racines ne peuvent pas bien s’enfoncer dans le sol suite à la résistance de ces déchets. Par conséquent il y a des plantules qui fanent et d’autres qui sont stressées avec pour résultat final la diminution de la production. Vous avez également que le plastique ne pourrit pas très vite et plus il y a des étendues affectées et plus encore les terres arables deviennent très rares. C’est ainsi que la population meurt de faim », fait-il remarquer.
«Et après ? L’on ferait Quoi »
Pour limiter la prolifération des déchets plastiques dans la région, le Gouverneur de la Province du Nord-Kivu a ordonné début Juin dernier l’interdiction de l’importation des emballages plastiques.
Peter Chirimwami voudrais à cet effet initier la population sur des mesures de prévention contre les effets nocifs des dits emballages. Sur le terrain le constat est toutefois amer: les emballages plastiques continuent d’être vendus et aucun élément de l’ordre n’est déployé sur le terrain pour faire respecter cette mesure.
«Bien sûr que le gouverneur nous avait interdit ces emballages mais nous ne savons pas lesquels on va utiliser. Nos clients adorent des sachets plastiques. En plus nous n’avons pas d’usines pour d’autres types d’emballage. Ces plastiques que nous utilisons viennent de l’Ouganda. Et après ? L’on ferait quoi ? Je pense que cette mesure a déjà été levée, car personne n’en fait le suivit », lâche Danny Meso, un opérateur économique rencontré au Marché Centrale de Beni-Kilokwa.
Seros Muyisa